LE PAYS DE LIÈGE ET LA FRANCE - La Révolution liégeoise de 1789 : la crise de la Révolution et la guerre

Publié le par sorinabarjov

Le Prince refusait de rentrer et de transiger, comme l'y invitait le roi de Prusse 1 ; il comptait sur une intervention armée de l'Empire. Frédéric Guillaume II menaçait de retirer ses troupes, et ainsi de laisser se développer la Révolution, si Hoensbroeck ne se montrait pas disposé à accorder (avec complète amnistie) le redressement des griefs nationaux liégeois : en particulier la libre élection des magistratures urbaines.

Les Patriotes étaient dans des embarras financiers : on sentait qu'il faudrait en venir à lever un impôt direct. Fin février 1790 les États proposèrent une capitation générale : le Tiers la voulait proportionnelle aux facultés de chacun, tandis que le Chapitre de Saint-Lambert la voulait conforme à la tradition. Le Tiers proposa alors un emprunt  dont le Clergé serait garant, mais celui-ci refusa, préférant la capitation. On fit alors appel aux dons patriotiques : on apporta force bijoux, mais l'inefficacité de ce moyen entraîna la négociation d'un emprunt d'un million de florins à Bruxelles sous la garantie des États. Cependant le Clergé Secondaire avança une somme de 183.000 florins à 4 % d'intérêt2.

Sous prétexte de négocier à Bruxelles l'emprunt d'un million de florins, Lesoinne y travaillait en fait au projet d'union avec les "Belges" (appellation en racourci pour désigner les gens des Pays-Bas autrichiens)  -  projet que Masson, Bourgmestre de Huy, semblait considérer comme une trahison envers la Patrie liégeoise, puisqu'il signala le fait à Dethier le 9 juillet suivant3.

À Liège la situation se tendait4: un nouveau conflit prit forme entre le Chapitre et les deux autres États. Un procès s'était ouvert devant le Tribunal des XXII contre le Bourgmestre de Visé qui, suite à la plainte d'un particulier, était suspect de participation aux émeutes d'octobre : comme ce tribunal était encore composé selon les règles en vigueur dans l'Ancien régime, il s'acharna contre le Bourgmestre de Visé, patriote convaincu. Le Tiers estimait avoir le droit de changer ses représentants au XXII ; le Chapitre, malgré l'État Noble, s'y opposa, reconnaissant la validité de cette juridiction. Les XXII prirent finalement la décision de renoncer à siéger.

Les "excès populaires" de la journée du 11 avril 1790 furent l'occasion de la rupture du Chapitre avec la Révolution, à cause de l'incompatibilité des conceptions concernant la résistance armée aux décrets de la Chambre impériale.

Les forces militaires patriotiques se composaient de 500 hommes du Régiment municipal levés parmi les soldats du Régiment des États licencié au début de la Révolution, et commandés par le Bourgmestre Chestret. Le Tiers réclama l'organisation de forces sérieuses soldées par les États, mais il ne fut pas suivi par les deux autres Ordres. Le Comité de guerre, qui venait d'être créé, comprenant des représentants des Trois États, ne se hâtait pas pour se réunir.

Or le 8 avril arriva de Berlin une lettre annonçant le refus définitif du Prince d'accepter les vues conciliatrices du roi de Prusse, ce qui eut un double effet :

1) Von Schlieffen évacua Liège avec ses troupes, entraînant dans sa retraite les 1.200 soldats du Palatinat auxquels il avait refusé de remettre la Citadelle de Liège.

2) Le 11 avril 1790, dans l'enthousiasme général, les habitants de la Cité étaient venus à l'Hôtel de ville renouveler leur serment de fidélité à la Révolution. Le soir de ce dimanche 11 avril 1790 la foule saccagea les demeures des principaux aristocrates liégeois (le Grand prévôt, l'ex-bourgmestre Plomteux, le Mayeur Colson, l'ex-Mambour Fossoul) et le local d'une société de leur parti. Ce fut le signal de l'exode d'une quinzaine de chanoines qui, se réunissant à Aix-la-Chapelle (Aachen), tâchèrent de reconstituer un Chapitre sous la direction du Grand prévôt et de l'Écolâtre Ghisels. Il y eut ainsi  deux Chapitres  de Saint-Lambert, car une dizaine de chanoines de la Cathédrale étaient restés à Liège avec le Grand doyen (le nombre des chanoines émigrés à Aix se monta à vingt-quatre le 26 avril 1790).

Le 12 avril un recès du Tiers, admis le 13 par la Noblesse et le 14 par le Chapitre fidèle à la cause patriotique, décida la levée de deux régiments d'infanterie et de 150 cavaliers. Une fois les Prussiens partis, on reprit les cocardes, on mit garnison à la Citadelle et on maintint l'ordre.

La Chambre impériale cassa cette décision liégeoise et, le 19 avril, maintint sa décision d'exécution, blâmant la Prusse, encourageant Palatins et Munstériens dans leur attitude hostile aux Liégeois, et leur enjoignit quatre autre Cercles d'Empire pour les aider dans leur tâche exécutrice. En fait, seul l'Électeur de Mayence pouvait envoyer des troupes.

À Liège cette décision de Wetzlar ne fit qu'exciter les esprits. Le 24 avril le Tiers, suivi timi­dement par les deux autres Ordres, supprima le Conseil privé pour le remplacer par un Conseil de régence composé par des délégués des États (qui s'organisa plus tard). On confisqua les revenus de la Mense épiscopale (partie de l'Évêché appartenant en propre au Prince), – et plus tard on fit subir le même sort aux biens personnels du Chancelier. Enfin on pressa la mise sur pied de la défense nationale.

Pour solder les troupes le Chapitre n'accorda qu'à grand peine 40.000 florins. On poursuivit la négociation de l'emprunt d'un million aux Pays-Bas.

Fin avril Van der Noot et Van Eupen, deux hommes de la "révolution" brabançonne, étaient à Liège dans le but d'une union belgo-liégeoise.  Les Liégeois furent réticents. La négociation politique avorta et le Pays de Liège ne réussira à obtenir plus tard qu'une avance de 80.000 florins.

Sans expérience militaire, sans armes suffisantes, sans artillerie valable, la masse des volontaires engagés (50.000 hommes selon les révolutionnaires, plus ou moins 20.000 en réalité) devait créer plus de soucis que rendre des services réels à la Cause.

Le Tiers avait admis la représentation des campagnes, dont les députés siégèrent à partir de juin 17905. Dethier proposa aux délégués des communautés rurales de s'unir par serment, − comme l'avaient fait le 1erseptembre 1789 les délégués des Bonnes villes, − ainsi que la publicité complète des débats sur la constitution et la législation, ce qu'il fit en vain6.

L'armée nationale liégeoise, dont le général en chef était Donceel, était composée de deux régiments commandés, l'un par le comte d'Aspremont-Lynden (mais en fait il le fut par le colonel Dellecreyr), l'autre par Fyon. Chestret commandait le Régiment municipal avec en second le baron de Rossius d'Humain. La ville de Verviers et le Pays de Franchimont fournirent moins de 2.000 volon­taires ; des localités de Hesbaye7(surtout wallonne) levèrent aussi des troupes. Enfin on arma un régiment de chasseurs, sous les ordres de Hyacinthe Fabry : une lettre du 4 septembre 17908nous donne quelques noms de ses officiers : le lieutenant-colonel Lonhienne, les capitaines Dechesne et Colette, les capitaine lieutenants Gustin et Lejeune, les lieutenants Bogard, Donckier, Jehin et Haleng, les sous-lieutenants Francotay, Henchene, Catoir et Riga, l'adjudant Boulard, le quartier-maître Rouveroy et l'auditeur Bernard, avocat de Maeseyck. Il y eut aussi des francs-tireurs commandés par Ransonnet. Au total il est douteux qu'on ait jamais pu réunir plus de 5.000 hommes armés sur le théâtre des opérations9.

Avant d'entrer en campagne les Liégeois firent connaître une dernière fois le 16 mai les principes dont ils s'inspiraient. La prudence de cette déclaration est significative ; elle serait due à la «désunion, l'intrigue, l'obscurité de la marche entortillée des chefs dévoués au parti brabançon et aux­quels le parti démocrate est absolument opposé» (Jolivet, ambassadeur français) : les États affirmaient vouloir rester dans l'Empire, soumis aux constitutions germaniques, s'en tenir aux points fondamentaux du 12 octobre 1789, maintenir les trois Ordres, la religion catholique comme religion d'État, etc...

Les commissaires du Directoire du Cercle de Westphalie y répondirent (du moins ceux de Juliers et de Munster) deux jours après par un manifeste de guerre qui n'eut d'autre effet que de hâter la concentration des forces militaires dans la Campine et le Pays de Looz, Maeseyck servant de quartier général aux forces électorales palatines et colonaises. Celles-ci, renforcées de Mayençais et de quelques unités de Trèves, comptèrent 4.500 hommes en mai juin 1790 et 7.000 hommes en juillet. Mal commandées, bénéficiant pourtant d'artillerie, ayant des munitions en suffisance, ces troupes ne connurent que des échecs dans leurs attaques10.

L'armée liégeoise fut assaillie le 23 mai 1790, mais résista ; Donceel pratiqua une guerre défensive, s'opposant à Ransonnet qui voulait prendre Maeseyck. On couvrit Liège vers le nord, du côté de Visé, avec des canons prélevés dans la capitale. Les troupes liégeoises manquaient d'armes et d'argent ; les soldes étaient différentes de village à village, ce qui entraînait de la jalousie. De plus les hommes voulaient rester chez eux au moment de la moisson pendant quelques semaines. Le 30 juin 1790, de Liège où il était député du Franchimont aux États, L.F. Dethier manda à son ami Louis Depresseux, resté à Theux, qu'on envoyât dans la capitale le plus d'hommes possibles de toutes les communautés villageoises du Marquisat pour renforcer la troupe de Fyon, cantonnée vers Glons et Bassenge, au nord de Liège.11

On envoya Reynier à Paris à la Fête de la Fédération (14 juillet 1790) pour demander le payement d'une ancienne dette contractée par la France au cours de la Guerre de Sept ans. Le principe de cette dette fut reconnu, mais aucun nouvel acompte ne fut versé à la Principauté.

Le Theutois Pascal Taskin, installé à Paris, facteur de pianos, fut désigné par le Congrès franchimontois de Polleur pour se présenter à l'Assemblée nationale ce même 14 juillet 1790 et, à la Fête de la Fédération, y prêter le serment d'alliance sur l'Autel de la Liberté au nom des citoyens du Marquisat de Franchimont12.

Les exécuteurs de la sentence de Wetzlar en voulaient au Prince de les avoir trompés sur les forces liégeoises. La Chambre impériale fulmina une nouvelle sentence et adjoignit le Cercle de Basse-Saxe pour la faire respecter. Le 29 juin 1790, nouvelle offensive, mais les troupes exécutrices s'immo­bilisèrent une fois de plus après avoir passé la Meuse13.

À la mi-juillet 1790 les chasseurs de Hyacinthe Fabry firent diversion, il semèrent la panique à Aix, pénétrèrent dans le Juliers et revinrent le lendemain à leur point de départ14.

Chestret n'ayant pas été réélu comme Bourgmestre, il remit sa démission de commandant du Régiment municipal et on dut insister pour qu'il y renonçât. Le comte de Blois de Cannenbourg remplaça Donceel, malade de la goutte, comme général en chef des troupes liégeoises15.

Après un mois d'inactivité l'armée des Cercles réattaqua. Dans la nuit du 8 au 9 août 1790 le gros de l'armée liégeoise, avec Fyon, Chestret et Hyacinthe Fabry, sous les ordres du comte de Blois, remporta la victoire de Sutendael. Ce qui entraîna la retraite générale des Palatins et des Mayençais sur Maeseyck et Stokkem. En début décembre une nouvelle tentative de la part des troupes exé­cutrices aboutit encore à un pitoyable résultat16.

 

 


1 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 101- 112.

2 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 101-112.

3 Lettre de Dethier à Depresseux, Liège, 10 juillet 1790 (MEUNIER, Un acteur de la Révolution liégeoise, l'avocat L.F. Dethier..., [1ère partie], dans le BSVAH, t. 44, Verviers, 1957, p. 44).

4 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 101-112.

5 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 105 sv.

6 HARSIN, La Révolution liégeoise..., p. 114.

7 Hesbaye, région agricole au nord-ouest de Liège.

8 A. BORGNET, Histoire de la Révolution liégeoise de 1789, t. 1er, Bruxelles, 1865, p. 372, n. 1.

9 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 106 sv.

10 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 107 sv.

11 MEUNIER, Un acteur de la Révolution liégeoise..., dans le BSVAH, t. 44, pp. 42 sv.

12 Délibération du Congrès franchimontois du 5 juillet 1790, extraite du Journal du Congrès franchimontois, édité chez Tutot (J. MEUNIER, Biographies franchimontoises : Taskin, dans le Bulletin de la Société Verviétoise d'Archéologie et d'Histoire, t. 42, Verviers, 1955, p. 91).

13 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 108-111.

14 HARSIN, La Révolution liégeoise..., p. 111.

15 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 111 sv.

16 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 111 sv.


Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article