LE PAYS DE LIÈGE ET LA FRANCE - L'APRÈS RÉVOLUTION LIÉGEOISE (Ière Partie)

Publié le par sorinabarjov

 

   A.  RESTAURATION  ÉPISCOPALE  ET  RÉACTION  (1791-1792)1 

 Le 13 janvier 1791 le chanoine Waseige, plénipotentiaire de l'Évêque, prit possession du Palais. Le 16, la Commission impériale, chargée de veiller à l'exécution des sentences de Wetzlar, s'y établit également. Quelques troupes de l'Électeur de Cologne et de l'Électeur palatin furent maintenues à Liège, malgré la crainte de n'être pas remboursées de leurs frais (celles de l'Électeur de Mayence quit­teront en avril 1791).

Le 19 janvier les chanoines réfugiés à Aix rentrèrent à Liège. Leur première mesure fut d'ex­clure temporairement leurs douze confrères qui étaient restés à Liège, dont six avaient ouvertement soutenu la cause de la Révolution.

Au Tribunal des Échevins seul Rasquinet fut remplacé (il était d'ailleurs en fuite) ; ses huit collègues firent leur soumission (ils avaient prêté le serment civique).

Sur vingt-deux Commissaires de la cité, vingt furent remplacés.

Le Conseil de la cité fut restauré tel qu'il était avant le 18 août 1789, sauf révocation de cinq Conseillers qui avaient adhéré à la Révolution. Tous les Conseils de Ville furent restaurés de même.

Le Règlement de 1684 fut restauré.

Le Conseil privé et la Chambre des finances reprirent leur activité après épuration.

Fabry, Bassenge aîné et Lesoinne se réfugièrent à Wesel (territoire prussien), puis à Venloo (Hollande), enfin à Bouillon (alors dans le Royaume de France).

L'avocat Donceel, Levoz, Defrance, Digneffe et Hauzeur allèrent à Givet (en France, pas loin de la ville liégeoise de Dinant).

Fyon, les Franchimontois (Brixhe, Dethier, etc...), Lonhienne, Rasquinet, Lyon, Dellecreyr partirent pour Paris.

Le général Donceel et son fils le chevalier, Gosuin, plusieurs membres de l'État noble et Chestret (revenu de Berlin) n'allèrent pas plus loin que Bruxelles (alors dans les Pays-Bas autrichiens).

La répression commença contre les patriotes : séquestre fut mis sur leurs biens en attendant les sentences.

Selon la Chambre impériale les sentences pouvaient être rendues par les Échevins sans un avis conforme de "juges extérieurs impartiaux" (par exemple, certains universitaires).

Mercy-Argenteau envoya à Liège son conseiller Leclerc pour amener l'Évêque à promulguer une large amnistie, redresser les griefs principaux et faire retirer le plus vite possible les troupes exécutrices.

Hoensbroeck rentra seulement à Liège le 12 février, un mois après son fidèle Waseige.

Le quartier d'Outremeuse était toujours en effervescence ; y logeait une quantité de militaires des troupes exécutrices.

Hoensbroeck demanda le 17 mars 1791 à Mercy-Argenteau de pouvoir conserver à Liège les bataillons autrichiens.

Comme les frais d'entretien des soldats étrangers étaient très lourds et que les finances publiques étaient en plein désarroi, on tenta de négocier un emprunt à Francfort, puis à Bruxelles : en vain. En mai 1791 les États votèrent une capitation générale et des taxes de consommation (impôts nouveaux).

On exclut cinq membres de l'État noble : les deux comtes de Lannoy, les comtes de Berlaymont, de Berlo et de Blois.

On rétablit le Tribunal des XXII et les États Réviseurs le 30 juillet 1791.

Le 10 août fut promulgué l'Édit fondamental : 1) le droit d'édicter appartient au Prince et il faut l'unanimité des États pour suspendre l'exécution d'une mesure inhérente à ce droit et pour réserver la décision à la Chambre impériale ; 2) Contre le droit d'aliéner ou d'hypothéquer le territoire de l'État liégeois les États n'ont d'autre recours qu'à l'Empire.

Le 20 août 1791 Fabry protesta contre la restauration de l'Ancien régime à Liège ; il se dit déçu par l'attitude de l'Empire et décida de se tourner vers la France («ce ne sera que dans l'espoir de l'unir [sa patrie liégeoise] à l'empire français» ; et il ajoute : «Tous nos vrais patriotes pensent de même»).

Cependant Bassenge, dans le courant de l'été, composa une Adresse à l'Empereur, publiée en septembre 1791, où il plaçait encore sa confiance en Léopold II.

Le 8 juillet 1791 une liste de proscription fut publiée : Fabry, Chestret, Donceel, Bassenge, Levoz, Gosuin et huit Franchimontois.

Une seconde liste devait être publiée le 18 octobre : trente-six noms, notamment Rohan, Hyacinthe Fabry, Henkart, Lassence, Ransonnet, Lebrun, Dellecreyr, Reynier, de Cologne, Bastin (de Huy), Mauger (de Saint-Trond), Lambrechts (de Bilsen), Collardin (de Visé), etc... Il faut noter que le futur montagnard Wilmotte ne fut pas alors inquiété2… ce qui peut paraître bizarre.

Duperron, Commissaire de la cité, fut condamné à mort, mais sa peine fut commuée.

Mille neuf cents assignations furent lancées par le Tribunal des XXII pour le Franchimont. De sorte que même les juges de Wetzlar se sentirent bafoués par la répression exercée par le pouvoir épiscopal liégeois.

En janvier 1792 les Électeurs de Cologne et de Mayence annoncèrent le rappel de leurs troupes et le retrait de leurs Commissaires.

Peut-être à cause de la politique de la France, devenue belliqueuse, Waseige chercha à adoucir la répression ; sans doute aussi pour plaire à l'Autriche ; mais les vues de Waseige furent contrariées par le Chapitre cathédral, qui entendait ne rien changer au "système adopté".

Fin avril 1791 Waseige démissionna ; cinq semaines plus tard Hoensbroeck mourut.

Entre-temps, le 20 avril précédent, la France avait déclaré la guerre à l'Autriche. Le 16 août suivant, Méan fut élu évêque de Liège.

 

200px-François-Antoine de MéanFrançois Antoine de Méan, neveu de Hoensbroeck, 

dernier prince-évêque de Liège


Pendant cette première restauration épiscopale, la France envoya à Liège son chargé d'affaires Jolivet accompagné de trois secrétaires adjoints, qui arrivèrent le 21 avril 1792 : Réal, Boisguion et le jacobin Chépy. Fyon leur aurait dit de ne s'adresser à Liège qu'à des gens qui n'étaient pas du parti de Fabry, par exemple le jeune Digneffe (revenu de Rome) et Wilmotte (d'Outremeuse), clubiste fameux3.

L'année 1792 vit aussi des Liégeois piller le Pays de Liège, en partant de Givet ; ils formaient une Légion, dont voici quelques noms : le major Declaye, l'aide de camp Jardon, Godenne, Cloes, Bailly, Beaudinet, Laport, Lyon, Wilmotte, Didot, Montulet.

Le 27 août et le 14 septembre de cette année-là le Conseil provincial de Namur (Pays-Bas autrichiens) cita à comparaître les Liégeois Levoz, Fyon, Dethier, Boucher, Dinne et Wilmotte, ainsi que le Namurois Dieudonné, pour avoir pillé le Bureau de douanes d'Hastières (sur la Meuse, entre Dinant et Namur), et les jugea, les condamnant par contumace, comme chefs d'une bande de malfaiteurs.

Un bulletin, arrivé à Paris le 3 novembre 1792, expédié de Maubeuge le 30 octobre précédent à la Convention nationale par ses commissaires envoyés dans le Département du Nord, signalait que le bataillon liégeois commandé par Fyon cantonnait près de la Sambre4.

 

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  B.  LES LIÉGEOIS À PARIS  -  LE PROJET D'UNION DES "BELGES" ET DES LIÉGEOIS5 

           
         Le 4 décembre 1791 Levoz fut envoyé à Lille par le banquier Walckiers, où il rencontra Vonck, un des protagonistes de la "révolution" brabançonne. Walckiers transmettait en même temps son plan au Liégeois Lesoinne, décidément un habitué de la chose, pour qu'il fût communiqué à Fabry et à Bassenge, qui voulurent le "désaristocratiser".

Ledit banquier convoqua à Paris pour le 10 janvier 1792 les Liégeois "les plus notoires" (Fabry et ses amis), trois Franchimontois et des démocrates "belges" réfugiés à Lille, surtout des vonckistes. Lebrun était présent. Ces démarches n'aboutirent pas. Cependant dès le 18 janvier 1792 un "comité général des Belges et des Liégeois" commença à travailler en vue de l'union. Des réunions presque journalières se tenaient chez Lebrun ; en sortit un Manifeste des Belges et des Liégeois Unis en avril 1792 :

 

On exigea de chaque membre du comité l'engagement de se soustraire toujours à l'influence des puissances étrangères. On discuta de quelle manière organiser le nouveau "pays" après sa délivrance : un pouvoir révolutionnaire provisoire serait mis sur pied pour éviter l'anarchie et présider aux élections de représentants. Ce pouvoir provisoire serait constitué d'un comité central de cinquante personnes prises en dehors du "Comité des Belges et des Liégeois", s'occuperait d'envoyer partout des commissaires pour élire des adminis­trations provisoires et pourvoir à la défense commune. à mesure que le renouvellement des administrations serait effectué, ce comité central convoquerait tous les citoyens pour procéder à l'élection des représentants (un pour 10.000 habitants). Les représentants ainsi désignés se joindraient au comité central, qui ne se dissoudrait que le jour où le nombre des élus atteindrait cent cinquante, qui se déclarerait alors "Assemblée constituante".

Le comité rédigea un modèle de Constitution. On proposait aux provinces belgiques et au Pays de Liège de former une seule république représentative où les anciennes provinces seraient remplacées par des districts subdivisés en communes. Le pouvoir législatif serait exercé par une assemblée unique, élue au suffrage universel de tous les citoyens âgés de plus de vingt et un an et pour un terme de deux ans ; assemblée qui aurait le pouvoir de proposer et de décréter les lois, fixer les dépenses publiques, établir et répartir les contributions publiques, statuer annuellement sur la force des armées, poursuivre devant la "haute cour nationale" la res­ponsabilité de tous ceux qui auraient quelque portion de Pouvoir exécutif, proposer et ratifier les traités d'alliance, ceux-ci ne pouvant être faits qu'avec des peuples libres et pour la défense de la liberté commune. Le Pouvoir exécutif résiderait dans un conseil de quinze ministres choisis par le peuple dans la liste des représentants. Les décrets du corps législatif devraient être sanctionnés et promulgués par ce conseil des ministres. Le pouvoir judiciaire serait exercé par des juges élus à terme par le peuple : une justice de paix dans chaque com­mune, un tribunal civil et criminel dans chaque district, un tribunal suprême de révision et une haute cour nationale pour les crimes de lèse nation, le jury étant prévu pour les affaires criminelles.

 

Pendant le temps de ses travaux, le Comité des Belges et des Liégeois avait cherché à obtenir de l'Assemblée Législative française la levée de "Corps francs Belgiques et Liégeois" pour combattre aux côtés des Français et être utiles au gouvernement provisoire de leur "patrie" une fois délivrée.

Déjà le 18 décembre 1791 Lebrun, à la tête de Liégeois, s'était présenté à la Législative (salle du Manège) pour obtenir le décret de la formation d'une légion de volontaires liégeois. Au cours des mois qui suivirent février 1792 Walckiers subsidia les rassemblements de Liégeois (surtout franchimontois) à Givet.

Le 26 février 1792 Walckiers écrivit à Vonck qu'il avait la promesse des comités militaire et diplomatique de la Législative d'incorporer les soldats "belges" et liégeois dans deux "légions" (ce qui fut réalisé le 26 avril suivant) et de conclure un traité entre la France et le pouvoir révolutionnaire "belge" et liégeois pour reconnaître l'indépendance de la nouvelle nation créée par ceux-ci.

En mars Hérault de Séchelles, du Comité diplomatique français, promit au Comité des Belges et Liégeois Unis de ménager une entrevue avec Brissot et Condorcet ; Dumourier, ministre des affaires étrangères depuis le 15 mars, accepta lui aussi toute discussion en ce sens.

Vonck, inquiet de l'influence liégeoise sur Walckiers à Paris, proposa d'établir un comité à Lille. On lui répondit que c'était prématuré (8 février 1792). En mai 1792, après avoir examiné le Manifeste paru en avril, Vonck fit connaître les conditions de son adhésion : il trouvait dangereux de rendre public un projet d'assemblée nationale. Il trouvait néfaste l'alliance avec les Liégeois, préférant la forme d'un état fédéral, désapprouva les tendances anticléricales de Walckiers et de certains Liégeois qui ne pouvaient qu'effaroucher la masse du peuple belgique déjà allergique aux réformes de Joseph II.

Le 1er avril 1792 Marie-Antoinette prévint le comte de Mercy-Argenteau que Dumourier avait le projet d'attaquer à la fois en Savoie et dans le Pays de Liège6.

Au lendemain du 10 août 1792 (chute du Trône), Lebrun devint ministre des affaires étrangères et le 18 août Dumourier obtint le commandement de l'armée du Nord. Quelques semaines plus tard, après la victoire de Jemappes, les troupes liégeoises et belges entrèrent à Mons avec les Français (le 7 novembre 1792). Le soir même de leur arrivée ils organisèrent la première séance de la Société des Amis de la Liberté et de l'Égalité ; Walckiers et Dumourier y étaient. Le lendemain ils convoquèrent les Montois pour procéder à l'élection de leurs représentants provisoires.

Dans une lettre écrite à Lebrun (Moniteur du 17 novembre 1792), le Comité des Belges et des Liégeois Unis demanda la suppression des taxes sur les denrées de première nécessité et qu'elles portent sur les boissons et le luxe des riches, ainsi que la suppression des droits seigneuriaux et féodaux et de la dîme. Mais le même jour (17 novembre) Dumourier s'opposa à ce que le Comité formât le gouvernement provisoire prévu par le Manifeste : il voulait que l'ensemble de la population "belge" élise une "convention nationale" ; c'était d'ailleurs l'opinion de Merlin de Douai et de Robespierre.

Le 4 décembre 1792 Walckiers et Balza, représentants provisoires des "Belges et Liégeois", vinrent demander à la barre de la Convention que la France ne conclût aucun traité avec l'ennemi à moins que l'indépendance absolue de la Belgique et du Pays de Liège ne fût formellement reconnue et établie. Walckiers approuva le décret du 15 décembre concernant les "pays conquis"7.

 

 

1 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 139-148 sv.

2 A. BORGNET, Histoire de la Révolution liégeoise de 1789, t. 2, Bruxelles, 1865, p. 186.

3 Lettre de Henkart à Fabry (BORGNET, Histoire de la Révolution liégeoise de 1789, t. 2, pp. 186 sv.).

4 Adolphe BORGNET, Histoire de la Révolution liégeoise..., t. 2, pp. 191 sv. ; −Journal du baron de Stassart, éd. F. JACQUES, Namur, 1976, p. 23 ; − F.A. AULARD, Recueil des Arrêtés du Comité de Salut Public, t. 1er, Paris, 1889, p. 209.

5 S. TASSIER, Édouard de Walckiers, promoteur de l'union des Belges et des Liégeois (1792), dans la Revue de l'Université de Bruxelles, t. 44, 1938-1939, pp. 151-159.

6 J. CHAUMIÉ, Le réseau d'Antraigues et la contre-révolution, 1791-1793, Paris, 1965, pp. 153 sv.

7 S. TASSIER, Édouard de Walckiers, promoteur de l'union des Belges et des Liégeois (1792), dans la Revue de l'Université de Bruxelles, t. 44, 1938-1939, pp. 151-159.


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<br /> <br /> Merci pour tant d'érudition.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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